Ses oreilles sont mortes. Mais elle n'a pas perdu l'ouïe, elle a gagné la surdité. C'est comme ça qu'elle le présente, lorsqu'elle doit, encore une fois, expliquer aux gens qu'ils doivent la regarder en face lorsqu'ils lui parlent, mais que non, ce n'est pas nécessaire de ralentir autant, d'articuler autant, d'ouvrir la bouche si grand, vous avez l'air con.

On lui a dit que sa vie serait un chemin de croix semé d'embûches. Elle a dit d'accord. Et elle s'est inscrite à des cours de théâtre.

On lui a dit, t'es conne, les sourds ça fait pas de théâtre. Elle a dit d'accord. Et elle a obtenu le premier rôle de la production lycéenne.

On lui a dit, comédienne c'est pas un métier, surtout pour une sourde. Elle a dit d'accord. Et elle a été acceptée à l'Ecole de théâtre de Londres.

On lui avait dit que sa vie serait un chemin de croix semé d'embûches. Elle a cru que sa surdité serait sa croix. Mais elle a bien vite compris que les embûches, c'étaient les autres.

Alors, elle se fait passer en premier, toujours. Parce qu'on lui a dit qu'elle passerait toujours en deuxième, avec ses oreilles mortes, son corps pas bien terminé. Elle ne se fait pas de soucis pour les autres, ils s'en sortiront toujours, même les cons, avec leurs oreilles qui marchent. C'est eux qu'on devrait assister, à eux qu'on devrait greffer un cerveau, plutôt que de la considérer comme un monstre, mi-femme mi-robot, avec son appareil auditif, ses oreilles de métal et sa voix électronique.

Mais peu importe. Elle s'en fiche. Elle s'en fiche, parce que dans son sac, il y a une convocation pour une audition. Alors, dans l'avion qui doit la mener à New-York, puis direction Los Angeles, elle entrelace ses doigts avec ceux de sa petite sœur, et se dit que les choses ont quand même bien tourné pour elle, malgré tout.