Bien que l'avion ait décollé depuis quelques heures déjà, nous sommes encore loin de San Francisco et donc du plancher des vaches. Je ne sais pas comment Jude fait, elle discute avec l'inconnue à sa droite comme si de rien n'était. Elle ne semble pas préoccupé par le fait que nous volions ce qui n'est pas normal pour un homme, de voler. J'ai beau être cartésien, scientifique et franchement intelligent, je ne conçoit pas qu'un appareil de plusieurs tonnes puisse voler. Suis-je le seul à voir que nous courrons un danger de mort? Surement puisque beaucoup des passagers dorment, lisent ou discutent comme ils le feraient dans leur salon, chez eux, sur la terre ferme. Moi je ne peux pas, je suis tétanisé par la peur, je l'ai pas dit à Jude, c'est pas très viril d'avoir peur en avion ni même original.

J'apprends à ma femme que je vais aux toilettes avant de me lever de mon sièges. Mes jambes tremblent et mon cœur palpite, j'ai des bouffées de chaleur et de violents frissons à la fois. Je sais ce qu'il m'arrive j'ai presque 10 ans de médecine derrière moi, je vais m'évanouir. Essayant de garder mon calme, je marche d'un pas mal assuré jusqu'à l'arrière de l'appareil pour demander un verre d'eau sucrée à l'une des hôtesses.

Lorsque je revint à ma place, Jude parlait toujours à son amie de vol tandis que j'attendais patiemment que les comprimés que je venait d'ingérer avec mon eau sucrée fassent effet. Ils me permettraient de dormir.
C'est lorsque, enfin, mon pouls se calme, et que je vais pourvoir dormir que mon siège se met à trembler en même temps que les signaux lumineux nous indiquant de boucler nos ceintures clignotent en émettant un son désagréable. Les yeux mi-clos je ne comprends pas ce qu'il se passe, je sens mon épouse se blottir contre moi mais je ne peux pas réagir. Les somnifères font leur effet et je m'endors doucement tandis qu'autour, c'est la panique.


J'ouvre péniblement les yeux, réveillé par le doux bruit des vagues s'échouant sur le sable. On est arrivé, on est en Californie, j'ai du dormir toute la durée du vol et même lors du trajet menant à la maison de mes parents. Ils ont l'une de ces maisons qui donnent sur la plage, à chaque fois que je vois l'une de ces battisses je deviens nostalgique. J'aime l'Irlande et ses plages mais ce n'est en rien comparable. Là bas le sable est plus gros, la mer plus froide, le soleil moins présent alors qu'ici il fait toujours beau, le sable est doux. On surfait tous les matins avec mon père pendant que maman nous préparait le petit-déjeuner, elle disait qu'on était fou de se lever à l'aube juste pour aller dans l'eau et que si jamais elle nous demandait de nous lever pour faire le ménage il n'y avait plus personne. Je suis fils unique et par chance très proche de mes parents, ils ont toujours été présent et ne me refusaient rien et ce malgré le peu de moyens que nous avions. Papa est chauffeur de taxi et maman est guide pour touristes dans la région. C'est pour ça que je voulais une bonne situation, pour les rendre fière. Ils m'ont toujours dit que j'étais fantastique et le plus intelligent, il fallait que je leur montre qu'ils ne s'étaient pas trompé.
J'ouvre péniblement les yeux, m'attendant à trouver la maison de bois de mon enfance devant laquelle se tiendrait mes parents et ma femme qu'ils aiment tant. Jude avait tout de suite été adoptée par les parents, il faut dire qu'elle est exceptionnelle.
Mais il n'y avait ni maison, ni parents, ni même Jude. Une étendue de sable bordée par l'océan d'un coté et une forêt dense de l'autre. Doucement une douleur sur mon crane se réveille alors que je découvre avec stupeur une plaie tout de long de mon mollet gauche, rien de grave à priori mais il va me falloir des points et je suis pas certain de trouver du fils et une aiguille - stérile qui plus est - ici. De toute façon ce n'est pas l'important à l'heure actuelle, il faut que je retrouve ma femme sur cette île. Elle ne doit pas être loin, faites qu'elle ne soit pas loin.

Guidé par la fumée noire s'élevant vers le ciel bleu, je marche quelques minutes en priant pour que ma femme n'ait rien. Je me fiche des autres passagers ou même de ma jambe, je veux juste que Jude aille bien. Fronçant les sourcils je joue avec mon alliance à laquelle je ne suis pas encore habitué. S'il lui arrive quelque chose je ne me le pardonnerai pas, je ne m'en remettrai pas. J'aurais pas du prendre ses somnifères, j'aurais du rester éveiller, la rassurer, la secourir, la protéger. C'était mon rôle de mari et voilà que j'échouais déjà. Je ne sais toujours pas par quel miracle elle a bien pu accepter de m'épouser, moi. On est pourtant parti du mauvais pied: une rencontre dans un bar et beaucoup trop d'alcool dans le sang. Quand elle raconte notre rencontre elle rie toujours, elle dit que j'étais lourd et ça ne m'étonne pas. Moi je me souviens pas bien, on fêtait la fin des partiels avec des potes ce soir là. C'est quelques jours après, alors que je cherchais un appartement dans Dublin que je me suis souvenu, j'aurais aimé disparaitre. Combien de chances y avait-il sérieusement pour que cette fille soit agent immobilier et que ce soit elle qui soit chargée de ma recherche? Le pire là dedans c'est que pour le première fois mon beau sourire ne me permettrait pas d'arriver à mes fins. Je me souviens qu'au départ elle ne semblait pas enchantée de me faire visiter tant d'appartements, ce qui l'a forçait à passer du temps avec moi. Mais à mesure qu'elle apprenait à me connaître à travers nos discussions elle succombait, ça devait arriver, je suis si irrésistible. Je souriais en me remémorant ces souvenirs et mon idée ingénieuse de prétendre que le meilleur appartement de la ville ne me plaisait plus au bout d'une semaine rien que pour la revoir. Elle a vite découvert la supercherie et j'ai été obligée de l'inviter à prendre un verre pour pas passer encore plus pour un idiot finit. C'était il y a 6 ans et maintenant nous voilà mariés et ... paumés sur une île déserte.