Je déteste les aéroports. C'est grand, trop grand... et bruyant. Les gens dorment n'importe où. Et quand ils ne dorment pas : ils traînent lourdement leurs valises pour aller les enregistrer au guichet X ou Y. Les aéroports me stressent. Ils me stressent presque tout autant que la fouille. Ce moment désagréable où, même après avoir retirer sa ceinture : on déclenche le fameux bip en passant sous ce maudit portique.
Je déteste les aéroports.

Pourtant, aujourd'hui : je m'y sens bien. C'est une bonne journée en perspective... très bonne journée. J'ai une place assise pour attendre mon vol. Je passe sans encombre à la fouille.... tout va bien dans le meilleur des mondes.
Je suis tellement de bonne humeur que, une fois dans l'avion, je sympathise avec ma voisine. Je suis installée entre Tobias, mon mari, et cette inconnue. Je me surprend à raconter ma vie à cette fille que je connais à peine. Elle me raconte également la sienne, sans aucune gêne. En même temps nous avons une bonne dizaine d'heures à tuer et il y a peu de chance qu'on se revoit par la suite.

Alors qu'elle finit de me raconter, dans les grandes lignes, son enfance à Newbridge, elle m'interroge sur mes origines. « Je suis née à Dublin ! Mon père est irlandais et ma mère philippine. » Elle m'observe, l'air fascinée. C'est vrais que les gens se posent souvent la question. À première vu, ils me pensent hawaïenne ou indonésienne... mais ils sont bien souvent surpris en entendant mon accent, très, irlandais.
« Je suis …. disons ''l'avant-dernière'' d'une grande famille. J'ai un frère cadet, deux grandes sœurs et deux frères aînés. » La jeune femme à bien du mal à cacher sa surprise. J’enchaîne donc sans plus attendre. « Ouais : six enfants, ça fait beaucoup ! Si bien que mes parents ont rapidement été forcés de déménager vers les quartiers résidentiels de la ville : notre appartement ne faisant plus l'affaire. En même temps entasser six enfants dans un T4... » Je secoue légèrement la tête. «  Bref, c'était en 90, juste après la naissance de mon petit-frère, je devais avoir trois ou quatre ans. Du coup, j'ai pas grands souvenirs de cet appartement …Enfin bon c'était un T4 comme un autre, au centre de Dublin.. rien d’exceptionnel : Une cuisine, 3 chambres, un salon assez spacieux et une salle de bain. J'ai, par contre, bien plus de souvenirs concernant la maison ! Une belle villa de plein pied, à une 20ène de minutes du centre-ville, avec un jolie jardin de …. peut-être 600m² .. je sais pas... dans mes souvenirs c'était un assez grand jardin ! Enfin qu'importe les dimensions : C'est là que j'ai grandis. »
Elle devine sans difficultés que je bosse dans l'immobilier, notant chez moi ce qu'elle appelle une ''déformation professionnelle''... perso j’appelle ça : être observatrice et précise.
Tobias s'éclipse un instant pour aller aux toilettes. L'inconnue de Newbridge en profite pour me demander, timidement, s'il s'agit de mon copain. C'est qu'elle est quand même vachement perspicace celle là ! J'étouffe un rire amusé avant de la corriger. « C'est mon mari. Ça fait encore bizarre de dire ça... on s'est mariés il y a peu. Il vient de San Francisco donc on va passer une petite semaine chez ses parents avant de partir direction Hawaï pour notre lune de miel.  » Je note, sans difficulté, de la jalousie dans son ''wow félicitation !'', en même temps qui ne le serait pas ! Elle évoque son copain et m'explique, sa rencontre avec ce dernier, durant des vacances à Paris. « Très romantique ! J'aurais rêvé de rencontrer le mien comme ça !  » Lui dis-je dans un rictus. « J'ai rencontré Tobias dans un bar. J'étais sortie me prendre un verre après une longue journée de boulot : je débutais tout juste. Je m'étais installée avec une bière dans un coin quand il est venu me draguer. Je l'ai repoussé directe : les gros lourdingues bourrés j'aime pas ça. Surtout après une journée comme celle que j'avais passé. » Étonnée elle me regarde avec insistance, me réclamant la suite. Je souris légèrement avant de poursuivre. « Quelques jours après, mon patron me confit la charge d'un nouveau client : c'était Tobias. Je t'avoue que j'avais tout sauf envie de faire visiter des appartements à ce crétin. Mais bon : c'est mon boulot. Puis si je vend bien, je gagne mieux... donc bon. J'ai passé une semaine avec lui... enfin, une semaine à lui faire visiter des appart' sur Dublin. À la fin de la semaine, j'avais enfin trouver la perle rare : l'appartement parfait, à deux pas de sa fac de médecine, spacieux et dans son budget. Il a emménagé et j'ai pu m'occuper d'un autre client. » Je marque une pause avant de continuer. « Une semaine après : il revient à l'agence, prétextant que l'appartement ne lui convenait plus : tout ça pour me voir. Bref, la suite on la devine : premier rendez-vous, premier baiser etc. » Évidemment mon histoire n'égale en rien son idylle parisien... mais bon : la mienne à le mérite d'être originale. Un peu ridicule : mais originale.

Alors que ma nouvelle amie m'avoue sa passion pour les romans de Stephen King, les sièges se mettent à trembler. Les hôtesses, qui jusqu'à présent souriaient poliment, on  bien du mal à cacher leurs paniques. Plus les secondes passent et plus les turbulences se font violentes. Le personnel de bord essaie de reprendre son calme pour ne pas affoler les passagers, mais il est déjà trop tard : des enfants pleurent, des gens hurlent et paniquent. Par les hublots on distingue une étrange fumée noire, qui n'a rien de rassurant. En cet instant j'arrête de respirer. J'ai envie de vomir. J'agrippe le bras de Tobias. Mes oreilles se bouchent subitement signe que l'on perd de l'altitude. J'ai peur. Les masques à oxygènes tombent du plafond. J'attrape le mien sans même réfléchir et répète les gestes que les hôtesses nous avaient montrer avant le décollage. Je me blottie contre Tobias et ferme les yeux, priant pour que ce cauchemar prenne fin.

Je suis réveiller par des gémissements et des appels aux secours. J'ai du sable dans la bouche. Je ne sais pas où je suis.  Je me tire douloureusement pour dégageant mon bras gauche de dessous un siège de l'avion. J'ai mal de partout, je me sens faible. Je me redresse péniblement et me frotte les yeux, m'habituant enfin à la lumière du soleil. Il y a de la fumée noire de partout, du feu par endroits, des débris d'avion autour de moi et je suis recouverte de sang ... Inquiète, je cherche aussitôt Tobias du regard. Il était assit à coté de moi, il ne peut pas être bien loin si ? Paniquée, je tente de me redresser et trébuche sur le siège qui m'écrasait le bras un peux plutôt. Je tombe alors nez à nez avec un cadavre qui est coincé sous le fauteuil. Sans réfléchir je cris de toute mes forces. La jeune femme de Newbridge. Elle n'a pas bougé : elle est toujours dans le siège juste à coté de moi...